Racine, Phèdre, acte II, scène 5, Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous...
Jusqu'à : Que Thésée est mon Père, et qu'il est votre Époux ?
Racine, Phèdre, acte II, scène 5, Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous…
Phèdre
[…]
Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon Époux.
Je le vois, je lui parle, et mon cœur... Je m'égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.
Hippolyte
Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il est, Thésée est présent à vos yeux.
Toujours de son amour votre âme est embrasée.
Phèdre
Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les Enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des Morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crète il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte
Des Héros de la Grèce assembla-t-il l'élite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le Monstre de la Crète,
Malgré tous les détours de son vaste Retraite.
Pour en développer l'embarras incertain
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non, dans ce dessein je l'aurais devancée.
L'Amour m'en eût d'abord inspiré la pensée.
C'est moi, Prince, c'est moi dont l'utile secours
Vous eussiez du Labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m'eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n'eût point assez rassuré votre Amante.
Compagne du péril qu'il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j'aurais voulu marcher,
Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.
Hippolyte
Dieux ! Qu' est-ce que j'entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon Père, et qu'il est votre Époux ?
Phèdre : tragédie en cinq actes et en vers (1 654 alexandrins) de Jean Racine, représentée le 1er janvier 1677 à l’Hôtel de Bourgogne.
C’est l’une des tragédies du XVIIe siècle les plus souvent représentées sur la scène.
Racine reprend un thème déjà traité par les poètes tragiques grecs et romains : celui de Phèdre dont le mari, le roi Thésée, étant absent, finit par avouer son amour à Hippolyte, fils de Thésée d’un précédent mariage.
Acte II, scène 5 => une scène d’aveu terrible.
Lors de la scène précédente, Hippolyte a déclaré sa flamme à Aricie. Or dans cette scène 5, Phèdre va avouer l’inavouable : elle avoue au fils de son mari (qu’elle pense mort) qu’elle est amoureuse de lui. Amour incestueux. Amour interdit + rebondissement dans le drame de la pièce.
Hippolyte et Phèdre sont en deuil, car ils viennent d’apprendre la mort de Thésée.
I- Le terrible aveu
Dès le début de la scène, le spectateur sait que Phèdre a un aveu à faire.
A- Malentendu
• Phèdre et Hippolyte se réconcilient autour de la mort de Thésée.
• Au début de la scène, Phèdre entretient le flou > évoque son amour pour Thésée.
Cf. « ma folle ardeur » ; « Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée » => termes forts, violents. « brûle » > amour passion.
• Soulignez le malentendu : Hippolyte ne comprend pas Phèdre. Il pense qu’elle pleure sincèrement son mari (et donc son père) > il tâche même de la consoler.
Cf. « Je vois de votre amour l’effet prodigieux : /Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ; / Toujours de son amour votre âme est embrasée. » : il reconnaît l’amour de Phèdre pour son mari.